Nous faisons face concomitamment à deux défis intriqués, d’ordre climatique et énergétique. En effet, les pics pétroliers et gaziers sont d’ores et déjà dépassés, et les ressources du sous-sol facilement extractibles viendront immanquablement à se tarir. Au sein même de l’Europe, la guerre en Ukraine ne fait qu’ajouter à cette réalité géologique, la mettant peut-être un peu plus précocement en exergue. De plus, le dioxyde de carbone issu de la combustion des hydrocarbures participe du forçage radiatif de l’atmosphère, de nature à modifier les équilibres géophysiques patiemment établis au cours des âges, à tel point que l'International Commission on Stratigraphy pourrait rétrograder l’Holocène en « Holocénien » pour faire place à l’Anthropocène.
Par ailleurs, les statistiques énergétiques mondiales montrent que les énergies fossiles pèsent pour 82,2 % de l’énergie primaire, et 61,4 % de la production d’électricité [1]. L’électricité est même le premier secteur émetteur de CO
2, à hauteur de 40 %, devant les transports [2]. L’âge des énergies fossiles n’est donc pas terminé, mais au prix d’une exploitation au taux de retour énergétique (TRE) très défavorable. L’électricité est un vecteur énergétique relativement plus décarboné que les autres, mais n’oublions pas que l’électrification des usages fossiles conduit à produire toujours plus d’électricité. Aussi les économies d’énergie sont-elles une nécessité vitale, en ces temps de crise.
Dans le domaine des transports, deux voies s’offrent à nous, si nous souhaitons réellement utiliser l’énergie avec parcimonie : la sobriété et l’efficacité. La sobriété implique des besoins moins bien satisfaits, au travers des changements de modes de vie et des transformations sociales tandis que l’efficacité se limite à l’aspect technique. Le moyen de transport motorisé le plus efficace est bien connu, puisqu’il s’agit du train. Et le vélo fatigue moins son utilisateur que la marche, pour une même distance.
Quand on entre dans les détails, les choses se compliquent. Utiliser les transports en commun au lieu de la voiture nécessite une phase d’adaptation. Pratiquer le covoiturage demande également des efforts. Le chercheur en transports Aurélien Bigo a résolu cette difficulté en explicitant un continuum de mesures s’étendant de la sobriété à la technologie [3]. Au travers de ce prisme de lecture, la baisse de transport, le report modal et l’augmentation du taux d’occupation revendiquent leur rattachement à la sobriété, car le mode de vie est profondément modifié, quand bien même ce report s’effectue, par exemple, en direction de l’objet assurément technologique que constitue le TGV. L’efficacité énergétique des véhicules et l’intensité en carbone de l’énergie relèvent à coup sûr de la technologie. Même les énergies renouvelables électriques, tant vantées à juste titre, sont d’ordre technologique car la reconfiguration de l’interconnexion électrique, le stockage de l’énergie et l’extraction de minerais rares mais aussi de cuivre s’avèrent nécessaires. Notons toutefois qu'une petite voiture, légère, aérodynamique, relèvera à la fois de la technologie et de la sobriété.
En résumé, avec cette nouvelle définition, c’est bien dans la sobriété et le changement de mode de vie que les économies d’énergie sont à rechercher. Il convient dès lors de développer l’intermodalité de telle sorte que les changements bénéficient de l'acceptation sociale du voyageur. Le concept de « ville désirable » développé par duraMObilités peut y contribuer.
[1]
Les chiffres clés de l’énergie dans le monde
[2]
IEA : Global energy-related CO2 emissions by sector
[3]
Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement